« Au fur et à mesure que nous avons considéré des régions dans lesquelles notre intelligence se manifeste plus librement, nous avons reconnu que la médiocrité exerce son empire d’une manière plus complète », écrivit le philosophe et sociologue Georges Sorel, un intellectuel pétri de fascinants paradoxes !

Au même titre que Lucie Faure, que le poète et romancier Louis Émié, que l’essayiste et académicien Gorges Izard, ces intellectuels libres et parfois dits « égotistes », mais sans dédain systématique à l’égard de leurs pairs qu’ils aimaient parfois à « cisailler » parfois avec délicatesse, se rassemblèrent autour d’un projet littéraire partagé : la Nouvelle Équipe Française (1943 – 1981), dont l’éthique première reste le respect fondamental de la personne, en opposition avec l’ordre établi par la crise économique mondiales des années 30. L’académicien Daniel Rops écrira ceci : « Est-il besoin de répéter […] que la personne n’a rien de commun avec l’être schématique mû par des passions élémentaires et sordides, qu’est l’individu. Un personnalisme conscient s’oppose même à l’individualisme dont s’est grisé le XIXe siècle. La personne, c’est l’être tout entier, chair et âme, l’une de l’autre responsable, et tendant au total accomplissement. »

Lucie Faure, qui créa la revue avec Robert Aron, femme de Lettres pétrie d’humilité et de gentillesse, resta une humaniste exemplaire et un modèle de tolérance : « Tout amour est respectable : celui aime est un seigneur, l’indifférent, un vassal », pour ne citer que l’une des assertions les plus connues. On n’oubliera pas de cette jolie panoplie de personnages hauts en couleur et au tempérament d’acier Henri Troyat, titulaire du Prix Eugène-Dabit récompensant une œuvre romanesque qui préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité. »

Quoi de plus subtil et touchant que ce projet de relance de la Nouvelle Équipe Française (initié par l’homme de Lettres et psychanalyste Rodolphe Oppenheimer Faure) qui, dans son subtil « Ordre et Désordre de la France » (décembre 1949, janvier 1950) laissait s’exprimer des regards croisés et paradoxaux sur la société de l’après-guerre : tout était dit dans le titre. Mais, au fait, ne trouvez-vous pas que ce titre évocateur sied à merveille à la période âpre et singulière que nous traversons, où « ordres » et « désordres » se mêlent et s’entremêlent, au risque de faire perdre pied aux citoyens, les faire trébucher ou se mettre dans des rages désormais difficiles à contenir ?

Longue vie à cette revue qui resurgit pour éveiller les âmes endolories et laisser s’exprimer les pensées d’intellectuels, essayistes, chroniqueurs, écrivains désireux de dire sans ambages ce qui nourrit en eux les convictions les plus intimes, les plus pures, les plus brutes, les moins travesties, les moins écornées : pas de fusil sur la tempe pour s’exprimer dans un respect mutuel d’idées motrices, parfois antagonistes, mais toujours finement argumentées et étayées, loin des fake news envahissantes et des assertions habilement complotistes et sournoisement vampirisantes.

Chronique en date du 5 décembre 2020, coécrite par Rodolphe Oppenheimer Faure et Thierry Chazarin